De la photographie

 

Orienter la quête

Etre au rendez-vous

Viser l'impossible

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Orienter la quête

De quelle manière t'y prendras-tu pour chercher ce dont tu ignores absolument la nature ? Quelle est, parmi les choses que tu ne connais pas, celle que tu te proposeras de chercher ? Et si tu la rencontres justement par hasard, comment sauras-tu que c'est bien elle, alors que tu ne la connais pas ? demandait Socrate.

Personne ne peut tout photographier ! Pourtant, pour nous vendre le plus possible d'accessoires, les marchands voudraient nous faire croire le contraire. Même superformé, suréquipé, très expérimenté, exceptionnellement dynamique, l'amateur laissera dans l'ombre moult sujets potentiels. Qui plus est, il ne parviendra pas à traiter avec une égale réussite tous les thèmes abordés. D'où la nécessité du choix, plus ou moins tâtonnant.

Selon Michel Tournier, "... il existe deux écoles de photographie; Ceux qui chassent l'image surprenante, touchante, effrayante. Ils parcourent les villes et les campagnes, les grèves et les champs de bataille pour saisir au vol des scènes évanescentes, des gestes furtifs, des moments étincelants qui tous illustrent la déchirante insignifiance de la condition humaine, surgie du néant et condamnée à y retourner. Ils s'appellent aujoud'hui Brassaï, Cartier-Bresson, Doisneau, William Klein. Et il y a l'autre courant qui dérive tout entier celui-là d'Edward Weston. C'est l'école de l'image délibérée, calculée, immobile, celle qui vise non l'instant, mais l'éternité. Parmi ceux-là, Denis Brihat que vous avez pu voir ici avec sa barbe et ses lunettes à la Hemingway .Retiré dans le Lubéron, il ne photographie depuis vingt ans que des plantes... Cette école de l'immobile a quatre domaines réservés: le portrait, le nu, la nature morte et le paysage... D'un côté le pris sur le vif, de l'autre la nature morte..."

Le champ photographique est tellement vaste qu'il nécessite une boussole intérieure

Que d'occasions perdues de voir et de ressentir profondément, intensément, par indisponibilité intérieure ! Rencontrer un sujet exige une présence sensible au monde extérieur. Etre réceptif prépare la découverte ou la création du sujet espéré, qui échappait à nos regards ou à notre imagination. Fortuite ou préméditée, le rencontre authentique d'un sujet est toujours un moment palpitant et un évènement vital pour l'acte photographique. C'est en captivant l'attention du photographe que le sujet peut naître, s'actualiser. Pour le photographe impressionné, le sujet devient, subitement ou progressivement, son sujet, sa source d'inspiration. La rencontre ayant lieu, il reste à prolonger ses résonnances, à développer cette subtile affinité, cette mystérieuse correspondance sans lesquelles ne peut vivre aucune photographie.

Pour moi, photographier c'est cueillir et rendre sensible une apparence qui m'a inspiré, et rester attentif jusqu'au tirage de l'image.

Etre au rendez-vous

Sans doute n'y a t'il pas souvent un instant unique pour photographier un sujet, mais les opportunités sont toujours plus ou moins limitées si l'on souhaite capter une apparence inhabituelle. Il importe donc de ne pas rater le rendez-vous que nous fixent la lumière, l'évènement, le moment favorable.

La mise en évidence du sujet passe par le choix du cadre et du hors cadre, au prix de quelques compromis: Epurer sans dénaturer; enrichir sans surcharger; situer sans noyer...

La mise en lumière du sujet est rarement idéale d'emblée, d'autant que notre appareil ne "voit" pas comme l'œil. Les ombres, par exemple, ne deviendront nos alliées qu'à condition d'en percevoir les positions et variations.

Quand le sujet nous apparaît clairement distinct de son environnement, bien dessiné et modelé par la lumière, faut-t'il s'en rapprocher, s'en éloigner, s'accroupir, se hausser, s'écarter à droite ou à gauche ? La perspective dépend entièrement de l'adoption du point de prise de vue (et non du facteur de zoom!).

Accorder son appareil au sujet, en fonction de notre sensibilité, nécessite une attention aigüe à la fois à l'expression du sujet et à nos réactions intimes. La maîtrise technique joue là un rôle important. Du choix de l'objectif ou du facteur de zoom, du point de mise au point, du couple vitesse d'obturation-diaphragme va dépendre le résultat final: Un flou de bougé peut ruiner une image, une profondeur de champ exagérée peut affadir un portrait, un flou d'avant-plan peut déséquilibrer une composition...

Reste le choix du moment de la prise de vue qui va déterminer profondément l'intérêt d'une photographie. Il importe d'écouter vibrer son sujet en soi pour bien choisir l'instant du déclenchement. C'est un peu comme si le sujet appelait le photographe ici et maintenant.

Viser l'impossible

Par le choix du sujet, du cadrage, de l'éclairage, du point de vue, des réglages de l'appareil, de l'instant, suggérer de l'indicible, de l'immontrable, donner à sentir l'infime palpitation des êtres et des choses. C'est à dire se condamner à la frustration, à échouer souvent, dans l'espoir de cueillir l'impossible. Rêve fou d'alchimiste

 
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