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Juillet 1974 - Huitième étape: Col de La Pierre St Martin - Plateau de
l'Hers
Aujourd'hui,
dans la nuit, je suis seul à me préparer pour cette longue étape devant
se terminer par un bivouac en montagne. Jacques et Solange
m'apporteront un supplément de nourriture pour l'étape suivante qui
devrait débuter aux alentours du col de Pau. Une demi heure me suffit
pour m'équiper et avaler un petit déjeuner alors que le jour n'est pas
encore là.
Un
au revoir silencieux aux amis plus ou moins endormis et c'est le
départ. L'itinéraire complexe m'est largement inconnu. Je marche très
vite vers les points de repère, saluant au passage la belle journée qui
s'annonce. J'enchaîne sans répit les tronçons du parcours. A cette
allure dans ces pierres, je me brise les pieds. Par instants, j'admire
le fantastique travail des jambes et des chevilles dans ce terrain
raboteux.
Un
balisage énergique m'emmène au col des Anies, d'où je plonge trop
directement vers le pla d'Azun. Quelques difficultés pour retrouver le
sentier, qui bientôt disparaît. J'atteins enfin une cabane avec berger
qui m'indique comment rejoindre le pla d'Anaye dont j'ai, une fois
encore, perdu le sentier. Rude descente, qui se prolonge vers le pla de
Sanchèze.
J'atterris
sur ce plateau, orné d'une cascade, avec près de deux heures d'avance.
L'estomac profite de mon contentement pour réclamer son dû. Certes,
cette marche très rapide ne m'a pas empéché de goûter quelques belles
vues, mais c'est surtout une sorte d'euphorie physique, de griserie de
progression qui m'habite en ce moment.
Nouveau
départ vers le plateau Lamary. Le bon chemin est difficile à trouver
parmi ces croisées et ces lacets cachés dans la fougère. Une paysanne
m'assure que je vais bien où je veux aller et je l'embrasserai presque
pour la remercier. Je continue. La montée vers la "mare" d'Ansabère est
raide sous un soleil insistant. J'atteins la crête en nage et plonge
aussitôt vers l'eau du lac de Lachérito pour me rafraichir.
Petite
halte casse croute au bord de ce paisible lac bleu, puis contournement
dans la pierraille d'un éperon rocheux. Les pieds souffrent,
protestent, mais je suis trop préoccupé par l'itinéraire pour leur
accorder attention. Je dois me servir de mes mains pour échapper au
mauvais pas dans lequel je me suis fourvoyé. Quelle manie de tenir trop
haut ! J'atteins enfin la prairie qui part à l'assaut du col de Pau.
Sentant
que les difficultés sont derrière moi, je ralentis un peu l'allure.
C'est alors que le ciel m'avertit de la formation d'un orage. Quelques
grondements lointains viennent épaissir mes craintes. Mes jambes
refusent d'accélérer comme je le voudrais. Alors, je décroche mon
piolet et, à tour de rôle, un bras vient à la rescousse pour monter à
perdre haleine vers ce col de Pau où m'attend un confortable sentier du
Parc National des Pyrénées. Je crains qu'à tout instant le brouillard
vienne escamoter ce col et m'enfermer en Espagne.
Un
quart d'heure d'efforts éperdus m'ont hissé au col, où deux marcheurs
discutent tranquillement. Je laisse ces deux inconscients à leur
contemplation pour me hisser sur le pic de Burcq, d'où le sentier file
vers le refuge d'Arlet, encore loin. J'avance très vite sur ce terrain
facile, mais mes jambes et mes pieds gardent le souvenir des heures
précédentes.
Voici
Solange et Jacques qui, malgré la menace de l'orage, viennent à ma
rencontre. Il faut le faire ! L'amitié est plus forte que la peur. Le
projet de bivouac s'envole et nous nous replions dans le cirque de
l'Hers. La menace de l'orage cesse d'être terrifiante dès que l'on
quitte les crêtes et c'est presque tranquillement que nous descendons
nous abriter. Quel courage quand on n'est plus seul !
Nous
avons le temps d'installer confortablement le campement dans un morceau
choisi de nature avant que pluie et tonnerre fondent sur nous.
Catherine
arrive, fatiguée, avec la seconde voiture récupérée en Ariège, et tous
ensemble nous nous mettons à festoyer. Jacques et Solange nous quittent
demain matin, mais la tristesse n'est pas de rigueur devant un tel
repas, enchanté par une fin de soirée lumineuse, promesse de beau temps.