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Août 1974 - Vingt septième étape: Tour de Batère - Col du
Figuier
Une
splendide mer de nuages occupe la vallée de gauche. Spectacle de
banquise, qui récompense le randonneur matinal et sa femme sherpa à la
tour de Batère.
Bien
vite, il faut abandonner une piste confortable pour prendre un sentier
encombré de branches de hêtres. Après le col sans croix de fer,
j'avance sur une large piste qui ne se presse pas de descendre vers le
col de la Redoute. Un raccourci, conseillé par le topo guide, m'enferme
dans un gigantesque maquis. J'insiste, dans l'espoir de forcer le
passage, mais je me retrouve bientôt bloqué entre terre et ciel par les
multiples bras d'immenses ajoncs. Il me faut revenir en arrière, ce que
je déteste particulièrement, et contourner la zone pour atteindre le
col de la Redoute, d'où je peux suivre des sentes à travers genêts et
broussailles.
Puis
les sentes finissent par s'évanouir au beau milieu des épineux. J'erre
parmi les piquants, désespérant de leur échapper. Vive les feuillus !
Pour un peu, je crierais volontiers : vive les fougères ! Un chemin me
délivre, enfin, peu avant de dénicher le hameau de Montbolo, en évitant
de justesse plusieurs erreurs d'itinéraire.
Je
n'ai pas le temps de me réjouir longtemps d'avoir échappé aux
broussailles car je ne parviens pas à trouver le départ de la traverse
menant à Amélie les Bains. Et quand, enfin, j'en trouve un tronçon, il
ne tarde pas à stopper devant une route goudronnée d'où le prochain est
difficile à trouver. La dernière partie s'avère même introuvable.
J'emprunte alors un petit kilomètre de route goudronnée pour atterrir à
Amélie les Bains.
Où
se trouve l'hôpital militaire ? Un gamin serviable, impressionné par ma
tenue, m'y conduit. En voila un qui ne se fait pas d'illusion sur mes
capacités d'orientation. Le sentier qui devait m'emmener à Can Félix
cache son départ depuis la visite du bulldozer. Après avoir franchi les
déblais et trouvé un sentier auquel je m'accroche, je monte à flanc
sans rejoindre la crête promise. Et ce sentier qui s'obstine à biaiser
! Je dois être trop à gauche sur le chemin de la ferme de Montagnole.
Demi-tour au pas de course jusqu'à Amélie les Bains. Un autre sentier
me propose ses services, mais inspiré par quelque démon, je le quitte
pour broussailler un peu, juste le temps d'admettre que l'entêtement
n'est pas toujours facteur de réussite. Je retrouve donc le sentier
négligé qui m'expose au soleil ardent du Midi.
La
soif devient très vite un tourment. Le mas désert de Can Félix n'aurait
il pas une source ? Je cherche en vain l'eau dont je rêve. Accablé, je
reprends le sentier qui grille. Soudain je m'arrête, les oreilles aux
aguets. Un petit bruit d'écoulement fluet et régulier m'enchante comme
une pure musique. Je repousse le portillon vert qui affiche "eau
potable" et je cherche, reniflant presque. Je trouve enfin la fontaine
dans le jardinet où je m'ennivre de fraîcheur.
Mes
jambes toutes ragaillardies me propulsent vers le Roc de France. En
chemin, je rencontre trois jeunes filles qui grimpent la crête de la
Pourrasse. Nous échangeons quelques mots sur la randonnée, loisir
auquel elles sont fraichement converties. En silence, j'admire le corps
parfait de la grande fille qui me précède, moulée dans son maillot de
bain deux pièces. Il doit manquer quelque chose quelque part car ce
spectacle ne déclenche en moi qu'une émotion esthétique désintéressée.
En tout cas, je connais bien mal le mécanisme de mes désirs !
Parvenu
au Roc de France, je laisse mes compagnes s'émerveiller devant quelques
chèvres sauvages et goûter le panorama. Catherine et Véron doivent
m'attendre quelque part sur la crête. J'aperçois Catherine qui éternise
d'une photo mon allure de randonneur heureux.