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Août 1974 - Vingt sixième étape: Refuge de l'Ull de Ter - Tour de Batère
Ce
n'est pas un lever comme les autres. Après avoir rapidement enfilé mes
vêtements, je vais réveiller Véron. Il est prêt presque aussitôt. Nous
nous retrouvons dans la salle à manger où il m'offre un café et je
partage avec lui mon gateau de riz. Alors que je termine une banane, je
suis surpris de le voir boucler son sac. Brusquement, il est prêt à
partir.
J'avale
mes dernières bouchées et nous partons. Le topo guide, la boussole,
l'altimètre sont pour la première fois enfermés dans le sac. Je suis
mon guide qui marche régulièrement tout en parlant de sa vie, de sport,
de montagne. Il me promet de m'envoyer le compte rendu de sa traversée
de 1968.
C'est
une ambiance de promenade sympathique et détendue qui m'enveloppe
jusqu'à proximité de Pla Guillem. Mon compagnon est déchiré entre
l'envie de m'accompagner plus loin et le devoir de respecter certains
engagements familiaux, dont la fête du 15 Août. Hélas pour moi, il
décide de rejoindre sa femme, et, après un casse croute ensemble,
durant lequel je remarque sa sobriété, peut-être forcée puisqu'il ne
veut pas se charger, je dois ressortir mes instruments d'orientation.
Un
petit moment de faiblesse me fait penser à abandonner, mais j'ai trop
envie de réaliser mon rêve, et, chemin faisant, je retrouve le goût de
marcher sur le vaste plateau. Loin devant moi, un groupe
d'excursionnistes attaque la montée du pic des Septhommes et me sert de
point de mire. Je me lance à leurs trousses, suant et soufflant comme
un damné. La distance qui nous sépare fond rapidement, et, peu avant le
sommet, je rejoins l'arrière du groupe.
Seuls
trois jeunes gens m'ont précédé au sommet, ce qui m'a distrait un bout
de temps et relancé dans la traversée. Je mendie une gorgée d'eau,
qu'ils m'accordent volontiers, puis, suivant la crête, je vais monter
le pic Rougeat. Ma salive s'est transformée en pâte épaisse, me faisant
payer l'étourderie de ce matin qui m'a fait partir la gourde vide.
Heureusement pour moi, le soleil ne donne pas toute sa chaleur. Véron
m'a enseigné un puit de neige dans lequel je devrais trouver de l'eau.
J'y descends, sans piolet, au risque de prendre un bain glacé qui
serait mortel. J'avale des moitiés de gourde qui me scient l'estomac,
mais le moral remonte avec l'eau que je bois et celle que j'emporte.
Les
éboulis menant à la porteille de Leca m'offrent un massage énergique
des chevilles. Des promeneurs, d'un geste vague de la main, m'indiquent
la position des mines de Batère. Ce parcours de crête manque vraiment
de confort pour les pieds. La chaleur augmente nettement, tandis que je
monte le Gallinasse.
Il
ne me reste plus longtemps à marcher, peut-être une heure trente, mais,
tirant trop à droite, je rate le Pel de Ca et m'éloigne des mines de
Batère en descendant la mauvaise crête. Le courage me manque pour
remonter les 300 mètres de dénivelé que je viens de perdre sottement.
En vain, je tente de lutter contre cette immense lassitude qui
m'envahit et m'écrase. J'ai envie d'abandonner, de me coucher, de
cesser de lutter. La fatigue entrave mes jambes, me faisant décrire de
ridicules lacets presque sur place. Désespéré, j'entame une traversée à
flanc pour tenter de rejoindre la bonne arête descendant du Pel de Ca.
Les premières centaines de mètres sont faciles, mais cette voie de
compromis ne biaise pas longtemps avec les difficultés. Rapidement, je
me trouve engagé dans un redoutable ravin, d'où j'essaie de me tirer
sans casse.
Après
avoir pris de gros risques sur un terrain peu fiable, je parviens à
sortir de justesse de ce mauvais pas. La crête descendant vers le col
de la Cirère mélange les herbes, les rochers et les arbrisseaux, ce qui
rend la marche saccadée et particulièrement pénible, mais ma situation
s'est améliorée.
Enfin,
un sentier balisé m'emmène rapidement jusqu'aux mines de Batère où
Catherine m'attend. Une petite promenade à pied lui ferait bien plaisir
! Content d'être arrivé là, je l'accompagne jusqu'à la tour de Batère,
d'où je peux reconnaître le départ de la prochaine étape, mais, au
retour, la fatigue se vengera de ce dessert de marche.
Nous
installons le campement en pensant à la fin de la traversée qui
approche. Plus que trois étapes avant la mer ! Mais nous nous gardons
bien de crier victoire, loin de là.