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Août 1974 - Vingt quatrième étape: Camping d'Inclès - Les Bouillouses
Rendez-vous
pris pour Les Bouillouses, je quitte notre petite tente à l'aube
fraîche de l'Andorre. J'ai hâte de trouver le sentier qui grimpe
allègrement sur les crêtes.
Le
soleil, dès son lever, chauffe sans retenue. Tout en marchant, je
contemple les pâturages qui se déroulent au dessus des vallées. Les
mammelons succèdent aux mammelons, et bientôt la route d'Invalira
multiplie ses lacets sous mes yeux.
Au
dessous de moi, le village du Pas de la Case paraît endormi. Je décide
d'y plonger directement, en évitant le goudron et les voitures qui
descendent du port d'Invalira. Les pentes d'herbe sont très raides et
me paraissent interminables. J'atterris enfin au milieu des bulldozers,
qui saccagent la montagne et son silence.
La
grande rue du village exhibe ses devantures comme autant d'hameçons à
touristes. Ici, c'est le paradis de la consommation. Il ya foule déjà,
malgré l'heure matinale. Deux jeunes gens, un brin goguenards à la vue
de mon piolet, dévisagent ce sauvage qui marche. Ils insistent
tellement qu'ils risquent fort de se faire rentrer dedans. Ils se
croient au zoo, ma parole !
Je
quitte cette agglomération de zozos pour reprendre pied sur la montagne
qui daigne les supporter. Une traversée à flanc me conduit aux
bâtiments ruinés d'une ancienne mine, qui montrent la vanité des
entreprises humaines et de leur désir d'éternité. Plus loin, un
monument commémore, avec goût, le souvenir de deux skieurs victimes de
leur passion. Enfin, une longue piste me conduit jusqu'au col du
Puymorens, que surveille un grand hôtel à l'affût des touristes.
Je
grimpe un peu dans les rhododendrons pour trouver une piste qui monte
doucement. Soudain, d'un bond, j'évite une grosse vipère, qui se range
sur le côté sans se presser. Elle est magnifique ! Je suis fasciné par
sa couleur gris bleu à reflets orangés. Je lui flanque quelques coups
de manche de piolet pour l'éloigner du chemin, mais elle fait face
vaillamment. Ne me sentant pas la vocation de bourreau, je m'éloigne,
puis, un peu plus loin, j'avertis un couple de promeneurs en chaussures
légères.
La
chaleur est déjà très forte. Heureusement, le splendide lac de Lanous
et la fière pyramide du Carlit viennent me distraire à temps.
L'approche
du pic Carlit est longue, surtout venant d'Inclès ! Un couloir
d'éboulis très pentu me fait douter de l'itinéraire, mais vérification
faite auprès de montagnards déjeunants près du refuge de la Guimbarde,
il va bien falloir le grimper.
Les
éboulis sont beaucoup moins croûlants que je le craignais, et je
progresse rapidement vers le sommet. Mais la montée est vraiment rude.
Au col, je rencontre un couple de touristes, qui, impressionnés par le
vide, se préparent à redescendre. Encouragés, ils m'accompagnent au
sommet, tout proche. Deux planeurs glissent autour de nous dans un
froissement d'air soyeux.
Au
cours de la descente sur les Bouillouses, nous bavardons, tout en
appréciant le vaste panorama égayé de lacs chatoyants. Près du lac
Soubirans, nous rencontrons Catherine qui monte, malgré la chaleur
étouffante, et nous nous séparons. Casse croute au bord du lac, qui
dérange quelques apprentis nudistes. Nous regardons le pic Carlit, de
loin, puis descendons vers l'hôtel des Bouillouses.
Arrivé
aux Bouillouses, nous croisons mes compagnons du Carlit, qui tiennent à
nous offrir à boire en signe de reconnaissance. A la terrasse de
l'hôtel Bones Hores, je suis, et de loin, le plus crado, mais
qu'importe ! Dans cet établissement de luxe, avec l'orangina, on fait
aussi payer le paysage sur le lac des Bouillouses !
Nous
partons ensuite en quête d'un lieu de campement plus sauvage que
l'immense parking de l'hôtel et débusquons l'endroit rêvé après
quelques kilomètres de route. L'ombre est abondante, l'eau n'est pas
loin, les piquets de tente entrent tout seul dans le sol. Il n'y a plus
que le repas à préparer.
Les
pyrénées orientales restent le dernier obstacle à franchir pour
atteindre la Méditerranée. Le ciel s'encombre de nuages, mais, en cette
soirée d'été, l'optimisme balaie toutes les craintes.