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Août 1974 - Vingtième étape: Salardù - Salau
Il
est très tôt quand la voiture m'emmène à Salardù.
Les
premiers kilomètres, au départ du village, s'effectuent dans la nuit
sur une petite route goudronnée. Catherine me devance en voiture puis
vient à ma rencontre à pied. J'ai troqué mes souliers de montagne pour
des chaussures de tennis. La piste qui mène au Pla de Berret est ainsi
grimpée à une allure record.
Le
plateau est immense et même les vaches paraissent s'y perdre.
Rapidement, nous découvrons Montgarri, village mort au détour d'un
chemin forestier. La piste devient raboteuse et s'affranchit de la
forêt. Catherine me livre mon sac à dos et mes souliers de montagne,
avant de m'abandonner pour rejoindre Salau en Ariège, terme prévu de
cette étape.
Le
soleil me cueille d'emblée et la piste se déroule, interminable, malgré
les jambes qui ne rechignent pas à marcher. Je regarde la crête
frontière perçée de multiples cols, en me demandant où se trouve le
port de Salau. Altimètre, boussole, croquis, notes, tout reste évasif,
alors que le point de bifurcation approche et que je ne parviens pas à
le localiser. Je me résouds à aller chercher des informations auprès
d'une colonie de vacances espagnole. Les enfants, à grands cris,
appellent leur moniteur. Serviable, ce dernier va chercher une carte
géante qu'il ne sait pas orienter. Il ressort de cette consultation que
le port de Salau se trouve quelque part sur la crête ! Muchas gracias !
Je
m'éloigne rapidement de ces informateurs, décidé à me fier désormais à
mes propres moyens. Les chaînons secondaires cachent la morphologie de
cette montagne. Craignant une erreur d'appréciation de l'altitude, je
tente de perdre encore une cinquantaine de mètres de dénivelé. Mais la
piste n'a pas envie de descendre, ce qui m'amène à parcourir quelques
kilomètres supplémentaires.
Quand
j'ai perdu l'altitude désirée, je me retrouve de l'autre côté d'un
torrent encaissé. Peut-être que le prochain pont marquera le début de
la montée vers le port de Salau ? Et je continue ! Les kilomètres
défilent à côté du torrent qui me barre toujours l'accès au versant
convoité. Des automobilistes espagnols passent en trombe, soulevant des
nuages de poussière que j'avale en pestant sous leurs saluts chaleureux.
L'erreur
d'itinéraire ne fait plus de doute maintenant, et, comme je m'apprête à
revenir sur mes pas, j'atterris à Alos de Isil où, miracle, un habitant
émerge, qui, deuxième miracle, connaît le port de Salau.
Je
reviens sur mes pas, bien décidé à écourter l'heure de remontée qui
s'annonce, et fonce comme un forcené pour ne pas trop alourdir mon
retard, anxieux à propos de l'itinéraire. J'ai l'impression d'être
prisonnier de l'Espagne, de ses montagnes, de ses sortilèges. Etranger,
je me sens très démuni dans ma solitude au milieu de ces gorges qui
m'étouffent.
Voici
l'endroit décrit par mon sauveur ! La pente d'herbe mélangée d'ardoises
est raide et glissante. Je décide de monter à gauche en lacets pour
recouper le sentier. Très vite, un bois m'enferme, et je parviens à lui
échapper en grimpant tout droit, pleine pente. Toujours pas de sentier
! Je continue de monter, en me disant qu'il ne me restera qu'à balayer
la crête pour repérer le port de Salau. Cette perspective ne m'enchante
pas car mes jambes, maintenant, pèsent lourd. Qu'il me tarde de passer
cette crête et de plonger en France !
Soudain,
un sentier dallé surgit sous mes pieds. Enfin un indice qui me permet
d'espérer un peu ! Mais j'ai hâte de savoir à quoi m'en tenir et me
malmène pour atteindre une sorte de col. Brusquement, devant moi, se
dressent les bâtiments ruinés du col de Salau. J'exulte intérieurement,
mais la fatigue se venge, profitant de ce relâchement, elle m'écrase.
Je
prends le temps de souffler et reprends haleine avant d'entamer la
descente. Malgré mon soulagement, je reste encore inquiet pour la suite
de l'itinéraire. Mes jambes sont sciées par cette pente rude, mais je
ne pense qu'à progresser en évitant la chute.
Au
niveau des premières granges, le sentier s'applatit un peu.
L'apparition de Catherine, sac au dos, venue à ma rencontre balaie
toutes mes inquiétudes. C'est comme un vent frais annonçant le beau
temps, et je ne tarde pas à découvrir que je suis affamé !
L'estomac
calmé, nous finissons cette descente en promeneurs tranquilles.
Catherine
m'embarque dans sa voiture vers un endroit ombragé et tranquille, que
nous dénichons bien au dessous de Salau. Un pré bordé d'arbres et d'un
torrent, à proximité d'une charmante maison de montagne, forme mon
paradis, où l'ange Catherine répare les dégâts de l'épreuve.
C'est
la première fois que je suis vraiment épuisé, au point de souffrir des
hanches, de ne plus avoir la force de me restaurer. Une seule chose
s'impose: dormir, ne plus craindre, ne plus penser, ne plus marcher.
Pourtant,
après quelques délicieuses heures de repos, je prépare mon sac pour le
lendemain. La fatigue ayant légèrement desserré son étreinte, la volonté
de continuer en profite. Mais serais-je suffisamment remis, demain
matin, de cette éprouvante étape ?
Le
sommeil ne me laisse pas le temps de m'apesantir sur cette question ?