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Juillet 1974 - Deuxième étape: Sommet de La Rhune - Col d'Esquissaroy
Debout
! Le réveil a sonné le verdict. Il fait encore nuit. Jacques, Solange,
Catherine prétendent qu'il pleut, alors que ce n'est que le brouillard
qui se laisse tomber. Après avoir avalé un peu de nourriture, nous
partons dans la purée et l'herbe mouillée. Dans cette obscurité
cotonneuse, ça ne tarde pas: on se perd ! Impossible de trouver le
passage qui permet de quitter ce sommet. Délaissant la boussole pour
nous fier à nos inspirations, chacun se retrouve bientôt isolé et perdu
dans cet océan de brume. Cris, signaux lumineux, agitation, énervement,
l'équipe se reconstitue mais toujours pas l'ombre du passage.
Nous
patrouillons ensemble, à portée de voix et, finalement, Solange déniche
la voie tant désirée. Le jour se lève, mais on ne voit guère plus loin
que le bout de nos pieds. Il ne nous reste qu'à descendre en confiant
notre sort à la boussole. Nous rencontrons des fantômes d'arbres et de
rochers, puis, enfin, un sentier horizontal bien marqué. Petite
reconnaissance à droite avec Jacques et nous découvrons la vieille
bergerie flanquée d'un petit fronton, solide point de repère par beau
temps. Une bouffée de joie chasse l'inquiétude qui nous rongeait. Nous
continuons de descendre et brusquement, tandis que la grisaille se
déchire sous nos pieds, éclate le sourire verdoyant des collines
basques. Quel soulagement d'échapper à cette prison de brume ! La joie
flambe dans nos veines et nous allume l'appétit.
Nous
voici au pied de La Rhune, trempés comme des soupes, mais heureux. Nous
casssons la croûte au même endroit que les deux années précédentes, à
proximité d'une venta isolée, dominée d'une splendide forêt de charmes.
Ce repas est devenu un rite que, malheureusement pour nous, les taons
observent aussi.
Nous
repartons, l'estomac bien calé, vers les fougères de l'Ibantelli, qui
finissent de nous tremper de la tête aux pieds. Nous passsons sans
encombre au col de Lizarietta, où la frontière espagnole paraît
verrouillée pour tous les véhicules, et bientôt nous entrons dans la
venta des palombières d'Etchalar. Nous nous offrons un peu de bon temps
à peu de frais, en se restaurant au sec. Le moral est bon, les grosses
difficultés nous semblant derrière nous.
Nouveau
départ sur un joli sentier de crête. Il y a un peu moins d'eau dans nos
souliers et nous connaissons l'itinéraire.. Nous traversons quelques
courtes averses en dédaignant de mettre les imperméables. De toutes
façons, nous ne risquons pas de nous mouiller davantage. Nous avançons
régulièrement vers notre rendez-vous au col d'Esqissaroy. Les jambes
commencent à se faire sentir un peu, mais le spectacle d'un
rassemblement de vautours fauves autour de deux vaches mortes efface
notre fatigue. Nous assistons à plusieurs décollages laborieux des
charognards et, quelques instants plus tard, à leur vol majestueux dans
le ciel gris.
Abandonnant
ce spectacle, nous repartons vers l'arbre en forme de T, qui annonce à
quelques minutes le col où nos ravitailleurs doivent se trouver. Après
la traversée rapide d'une très belle hêtraie, nous arrivons au terme de
notre étape. Pas de voiture, ni de Tizous ! Nous scrutons la route dans
les deux sens, tendant l'oreille à chaque bruit de moteur. Celà ne nous
coupe pas l'appétit pour autant et nous cassons la croûte, un peu
inquiets, en nous reposant des émotions de la matinée.
La
voiture ravitailleuse finit par arriver et ce sont les retrouvailles
joyeuses entre les deux équipes. Après nous avoir brièvement
complimentés, notre chien Vix se dégourdit les pattes. Les Tizous,
accompagnés de notre bouvier des Flandres, partent filmer les vautours
que nous avions repérés. Pendant ce temps, nous montons les tentes
qu'ils nous ont apportées. Retour des Tizous contents, échange de
souvenirs vivants.
Encadré
de pierres, le feu de bois allumé par Tizou a fière allure. Nos
vêtements et nos chaussures trempés sèchent rapidement. Le repas est
copieux, à la mesure de nos appétits. Hélas, très vite, nous devons
nous contenter de chaleur humaine, car les pierres se mettent à
éclater, nous tenant à distance du feu, de ce très beau feu ! Puis la
nuit nous pousse dans nos tentes où Morphée nous accueille en souriant.