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Août 1974 - Dix neuvième étape: Refuge de la Restanque - Salardù.
L'agitation
dans le refuge me réveille. j'essaie en vain de lire l'heure à ma
montre. De toutes façons, il faut partir le plus tôt possible. A
tâtons, je me prépare et le lit applaudit ma discrétion !
J'avale
quelques provisions et me lance, sur le sentier du col de
Goellicrestada, aux trousses d'un groupe de montagnards, que je ne
tarde pas à rejoindre. Ils sont trois. Le plus âgé marchant d'un bon
pas et connaissant l'itinéraire, je décide de me laisser guider
jusqu'au port de Caldas. Nous discutons d'un peu de tout en espagnol.
Ils sont catalans et, comme les basques rencontrés, ils s'inquiètent de
ce que les français peuvent penser d'eux, ayant honte de leur régime
politique. Ils m'apprennent que la dernière tentative de grêve s'est
soldée par trois morts, du côté des ouvriers, évidemment.
Tout
en me laissant paresseusement conduire, je perfectionne mon espagnol,
mais, très vite, les haltes se multiplient: L'appareil photo à objectif
interchangeable relaie la caméra pour éterniser cette marche
historique. Je commence à comprendre que ces montagnards sont des
promeneurs peu entrainés, à l'exception du sexagénaire qui les guide.
Les pauses rafraichissements et les repas casse croute marquent les
demi heures. L'appétit est excellent, mais le souffle est court.
Patiemment, je suis mes compagnons bon vivants qui, comme moi vont à
Salardù. A ce train, ils y seront demain matin !
Je
cherche une excuse pour les abandonner au port de Caldas. J'en trouve
une, ma femme, qui m'attendra vers 14 heures à Salardù, risquerait de
s'inquièter, ce qui n'est pas faux sans être toute la vérité, d'autant
que j'espère secrètement qu'elle montera en voiture les quinze
kilomètres de piste pour me délester de mon sac à dos et de mes lourdes
chaussures de montagne. On finit par atteindre le port de Caldas où je
laisse les catalans entamer un pantagruélique repas.
Sur
la foi de leurs indications, je plonge vers l'étang majeur de
Coulomers. Parvenu à proximité, et cherchant le sentier, mon pied
gauche rencontre un obstacle mou, insolite, qui me fait bondir: Une
vipère, engourdie par le froid, frappe mon soulier. Pendant quelques
secondes, nous nous faisons face, moi, tremblant sur mes jambes, elle,
prête à l'affrontement. Incapable de la frapper avec mon piolet, je
reprends la descente, sautant à la moindre grenouille !
A
partir du lac de Coulomers, le sentier erre dans un sous bois pour
finir par déboucher sur l'interminable piste de Salardù. Un couple de
français me demande si le lac est encore loin et nous bavardons un
instant. Sur la piste poussiéreuse, le soleil est accablant. Beaucoup
de voitures, mais pas celle de Catherine ! Je croise des espagnols,
chargés comme des mules, qui montent ventre à terre. Les kilomètres se
succèdent, monotones. J'étouffe dans cette dernière épreuve, alors que
Salardù n'en finit pas de se faire attendre. L'orage menace,
m'obligeant à accélérer le pas. Et toujours des voitures, toujours de
la poussière, toujours du bruit sous la cuisante chaleur.
Mes
yeux n'en reviennent pas d'apercevoir le petit village espagnol tant
attendu. Encore une petite demi heure et c'est la fin de l'étape ! Tout
en cherchant Catherine, je pense aux trois catalans du matin: ils
doivent se forger d'inoubliables souvenirs !
Voici
ma femme, qui n'a pas trouvé de place pour camper. Vite, sortir de ce
lieu de souffrance. Catherine me propose de revenir à l'hospice de
Biella, dont le souvenir chante encore en moi. Merveilleuse idée !
Le
trajet ne dure pas trop longtemps et, bientôt, je peux contempler en
touriste ce magnifique site. Après un gros brin de toilette dans le
ruisseau cascadant, puis un délicieux repas, le moral est revenu au
beau fixe.
Nous
vivons ces retrouvailles avec un temps de retard, mais le plaisir n'en
est que plus vif. L'énorme poids d'inquiétude, qui nous écrasait, cède
le pas devant notre joie de vivre. Bien belle fin de journée !