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Juillet 1974 - Onzième étape: Socques - Refuge Wallon
Réveil
en sursaut: le tonnerre et les éclairs se sont donnés rendez-vous au
dessus de la tente.
L'aube
semblant vouloir tout apaiser, je me jette à l'assaut du sentier qui
mène au refuge d'Arrémoulit. Quelques minutes plus tard, au dessus des
arbres, j'aperçois un ciel de cauchemar et je sprinte vers la cabane
d'Arrius, que j'atteins en moins de trente minutes au moment où le
deuxième orage de la matinée se déchaîne. Je demande exceptionnellement
l'hospitalité, qui m'est accordée, car je n'en mêne pas large. La pluie
tombe avec violence pendant près d'un quart d'heure et je bénis mes
hôtes, d'autant que le fracas du tonnerre est terrifiant. Le berger est
pessimiste dans ses pronostics sur le temps à venir.
Après
cette halte forcée de près d'une heure, je reprends le sentier à toute
allure. Bientôt, un troisième orage s'annonce dans mon dos. J'accélère
encore ma course, en m'aidant furieusement du piolet. Parfois, quand un
grondement plus sec survient, je me surprends à sauter, ne reposant sur
le sol que par la pointe du piolet.
En
courant, j'entre dans l'étroit et délicat passage d'Orteig. Une
glissade sur les rochers humides m'oblige à ralentir un peu. Dès que
posssible, je reprends ma fuite éperdue, sans manquer de m'étonner,
dans un éclair de conscience, de la sûreté de mes pieds, qui
maintiennent, vaille que vaille, un équilibre constamment compromis. La
foudre frappe un sommet au dessus de moi, déclenchant un bond qui
m'effaie vers le vide. C'est la panique qui me jette dans le refuge
d'Arrémoulit, où mon regard d'halluciné tranche dans le décor de
montagnards résignés à la belote.
L'orage
ne s'attarde pas, et, aussitôt qu'il a tourné les talons, je fonce vers
le col d'Arrémoulit, risquant l'entorse dans ce terrain chaotique.
La
descente vers les lacs d'Arriel aurait pu être dramatique par temps de
brouillard, car beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît au premier
abord. Sans perdre de temps, je note ma chance relative. le ciel est
toujours aussi menaçant et le contournement des lacs dure une éternité.
Le
magnifique lac espagnol de Respumoso me rassure sur la tenue de mon
itinéraire, mais je dois encore une fois forcer l'allure pour rejoindre
les baraquements en ruine du barrage pour tenter de couper au quatrième
orage qui s'amuse à m'affoler. Là, je rencontre deux montagnards
espagnols qui m'indiquent le sentier à suivre pour atteindre le refuge
de Peñalara.
Nouveau
départ vers le refuge indiqué, nouvel orage. Mon arrivée en trombe au
refuge alimente les commentaires. Je demande où se trouve le col de la
Fache. C'est bien où je le situais, une fois n'est pas coutume ! Les
montagnards espagnols me précisent que l'itinéraire est balisé de
"fitas", petits tas de pierre, et qu'on rejoint le sentier en passant
sous la passerelle démolie du lac de Campo Plano. Quelle prévenance
pour cet étranger qui vient encombrer un peu plus ce refuge ! Ils me
demandent d'où je viens mais mes explications en espagnol me trahissent
et je dois leur montrer mon itinéraire sur la carte. Exclamations
admiratives qui provoquent l'attroupement.
Comme
l'orage se calme, j'en profite pour repartir. Arrivé à la passerelle
signalée, je trouve un passage à gué pour franchir le ruisseau et
m'offre un rapide casse-croute. Les montagnards espagnols, craignant
que je me sois égaré, se sont avancés sur un promontoire et me font de
grands signes pour m'indiquer la voie. Je remercie de la main et
m'empresse de l'emprunter pour leur simplifier la tâche et les
rassurer. Je trouve le sentier bien signalé par de petites pyramides de
pierres et remercie mentalement tous ces montagnards dont la solidarité
me permet de gagner rapidement le col de la Fache, d'où je plongerai
sur le refuge Wallon, terme de mon étape.
Les
grondements reprennent et je fuis à nouveau l'orage qui s'annonce. Tant
pis pour les lacs de la Fache qui auraient mérité plus qu'un regard.
Après une délicate traversée de névé, voici le col de la Fache avec son
sentier balisé en rouge et blanc qui multiplie ses lacets. Très loin,
très bas, le refuge Wallon. Chaque pas m'éloigne de la crête exposée à
la foudre. Cette descente me paraît interminable.
Parvenu
aux abords du refuge, je ne trouve pas le pont qui permettrait de le
rejoindre. Peste soit du torrent, du refuge, des baliseurs...! Enfin
voici la terrasse de ce refuge hôtel. Je demande à m'allonger au
dortoir, ce qui m'est volontiers accordé, et là, après m'être débarassé
de mes habits trempés de sueur, je m'endors bienheureux.
Le
tonnerre me réveille brutalement. L'orage fait rage et la pluie tombe
avec une incroyable violence. Inquiet pour Catherine, qui doit venir me
ravitailler depuis Cauterets, je descends aux nouvelles. Des alpinistes
revenant du col de la Fache racontent leur frayeur. L'orage s'en est
allé. Sur la terrasse, je guette l'arrivée de Catherine et m'apprête à
la faire rassurer par un montagnard qui descend. Me retournant, je
l'aperçois à quelques mètres guettant dans le sens opposé. Joyeuses
retrouvailles !
Nous
discutons avec un montagnard qui fait découvrir à son fils quelques
étapes de la Haute route. Puis, après un sympathique repas pris à
table, nous allons compléter notre repos sous la protection de solides
poutres.